Pour tous ceux qui s’intéressent aux origines de l’intelligence économique « à la française », il me semble important de connaître ce texte de Philippe Baumard paru en 1991, soit trois ans avant le rapport Martre :
« En anglais, intelligence peut signifier de nombreuses choses, notamment : (1) la capacité d’appliquer des connaissances à la compréhension et à la résolution de problèmes ; ou (2) la connaissance – quels renseignements avons-nous sur Sony ? ou (3) l’organisation – où en est l’intelligence de cette entreprise ? ou (4) l’activité – l’espionnage, par exemple, est le type d’intelligence le plus faible, mais l’intelligence n’est en aucun cas synonyme d’espionnage. La comparaison s’arrête à la faculté humaine de compréhension que tout espion doit posséder s’il ne veut pas passer pour un imbécile. La définition la plus complète est peut-être celle de Simon [1] pour qui « le renseignement consiste à rechercher dans l’environnement les conditions appelant une décision ». Ainsi, l’intelligence peut être considérée à la fois comme un produit, un processus de contrôle, une activité ou un type de connaissance. Cependant, il est évident que l’intelligence n’est pas synonyme d’information.
En France, le sens commun de l’intelligence est « une faculté humaine ». Il est rarement compris comme un produit ou comme le processus de collecte, d’interprétation et de diffusion de l’information. Le mot « veille » est utilisé pour exprimer le processus de renseignement. Le mot « renseignement » exprime le produit : le renseignement qui a été recueilli dans l’environnement [2]. Mais le terme « veille » a une connotation très passive, qui n’implique pas l’implication du collecteur de renseignements ; et le terme « renseignement » fait tacitement référence aux services secrets. L’intelligence en tant que compilation, analyse et diffusion d’informations sur les intentions, les capacités, les faiblesses et les forces des acteurs internes et externes d’un environnement donné est largement ignoré par l’opinion publique française [3] « .
Et ce sera donc tout l’objet du rapport Martre de faire en sorte que cette ignorance, trop souvent synonyme de naïveté cesse.
Le choix d’un concept à la terminologie complexe, celui d’« intelligence économique », a eu des effets contrastés. D’un côté, il a permis une richesse d’interprétations et de développements sémantiques féconds. De l’autre, il a introduit une difficulté notable : celle d’en proposer une explication claire et accessible, particulièrement lorsqu’il s’agit de le promouvoir auprès de dirigeants de PME, (très logiquement) en quête de pragmatisme et de retours sur investissement palpables.
Source : Baumard, P. (1991). Toward less deceptive intelligence. Journal of Economic and Social Intelligence, 1(1), 179–190.
[1] Il s’agit d’Herbert Simon.
[2] « The word « veille » is used in order to express the intelligence process. The word « renseignement » expresses the product : the intelligence that has been gathered in the environment. »
[3] La traduction est de notre responsabilité.